Comment un simple album de musique a coûté des millions à Apple
Il aura fallu cinq secondes à Apple pour distribuer gratuitement un album de musique à ses 500 millions de clients, mais également pour créer l’un des plus gros scandales de son histoire.
En 46 ans d’existence, Apple aura fait parler d’elle tant pour ses innovations que pour les quelques scandales qui ont éclaté à Cupertino. On se rappellera notamment du “bendgate” de l’iPhone 6, incapable de résister aux poches arrière d’un jeans, ou encore du clavier papillon, peu fiable sur certains MacBook. À chaque fois, la Pomme a dû faire face à la grogne de ses clients et à des poursuites judiciaires qui lui auront parfois coûté plusieurs centaines de millions d’euros.
L’un de ces scandales aura notamment éclaboussé Apple en raison de la maladresse des têtes pensantes de l’entreprise. Tout part d’une très bonne intention : offrir à tous les clients d’Apple le tout nouvel album du groupe de rock irlandais U2, Songs of Innocence. Mais les clients n’ont pas vu d’un très bon œil la manière dont Apple a géré les choses.
Tout débuta le 9 septembre 2014, lors de la keynote de présentation de l’iPhone 6 et de l’iPhone 6 Plus. Très attendue, cette conférence semble s’achever sous les meilleurs auspices lorsque Tim Cook introduit sa dernière nouveauté en insistant sur l’importance de “la musique dans l’ADN d’Apple”. Après l’iPod et iTunes, Apple a prouvé qu’il pouvait révolutionner l’industrie musicale et qu’elle était prête à aller encore plus loin en ce sens. Elle annonce ainsi avoir signé un accord exclusif avec U2 pour distribuer le nouvel album du groupe à tous les clients de la Pomme, et ce, gratuitement.
Un coup marketing de génie, mais qui aura un prix. Pour revitaliser un iTunes en perte de vitesse et au lieu de demander au groupe de créer un album exclusif à la plateforme, Apple aurait déboursé plus de 100 millions de dollars, selon le New York Times. À la conclusion du show, Tim Cook et Bono, le chanteur du groupe, se toucheraient mutuellement l’index à l’exact moment où tous les clients recevraient l’album gratuit dans leur bibliothèque iTunes. Problème : ce qui semblait partir d’une bonne intention se révèlera finalement être un véritable désastre économique et publicitaire pour Apple.
Un album qui s’immisce dans la vie privée
Ni une ni deux, tous les clients obtiennent l’album sur leur appareil pommé sans qu’Apple ne leur demande la permission ou qu’ils n’aient l’occasion de refuser l’offre. Ce qu’ils craignaient allait finalement s’avérer. Tous recevront l’album gratuit dans leur bibliothèque sans qu’on ne leur laisse le choix. Pire encore, il leur sera totalement impossible de supprimer “Songs of Innocence” de leur bibliothèque ! Un non-sens pour les clients, qui n’hésitent pas à faire part de leur mécontentement sur les réseaux sociaux : “J’ai attrapé un nouveau virus appelé ‘U2’ sur mon iPhone !”.
Le partenariat entre Apple et U2 est censé se terminer le 13 octobre, date à laquelle l’album ne doit plus s’afficher dans la bibliothèque des utilisateurs. En attendant, les utilisateurs considèrent cette action promotionnelle comme “pire que du spam”, et U2 est devenu le “groupe de musique le plus détesté des États-Unis”.
L’histoire entre Apple et U2 avait débuté quelques années plus tôt, lorsque Steve Jobs et le groupe irlandais avaient conclu un accord pour produire quatre éditions spéciales de l’iPod aux couleurs du groupe. Vous voyez les modèles d’iPhone Product (RED) ? Eh bien l’association a été créée par Bono pour récolter de l’argent contre le virus du sida dans les pays d’Afrique. En perte de vitesse auprès de la jeune génération, U2 espérait que le fait d’offrir ce nouvel album aux clients d’Apple allait lui offrir un regain de popularité. De son côté, ce partenariat aurait pu permettre à Tim Cook de relancer iTunes face à un Spotify en nette augmentation sur le marché.
Installé par défaut et impossible à supprimer
Mais à sa sortie, l’iPhone 6 possède un stockage de base de 16 Go. iTunes n’étant pas capable d’enregistrer les morceaux dans le cloud, ceux-ci s’installent immédiatement dans le stockage du téléphone. Les utilisateurs font alors attention aux albums qu’ils téléchargent, et l’installation obligatoire de “Songs of Innocence” sur iPhone est mal vue par les clients.
Suite à ce tollé, Apple décide dans les jours qui suivent cette annonce de faire machine arrière. Un outil en ligne, qui n’est plus disponible aujourd’hui, est d’ailleurs publié sur le site de la Pomme une semaine plus tard pour permettre aux clients de retirer l’album de leur bibliothèque.
On ne sait pas aujourd’hui combien ce fiasco aura coûté à Tim Cook et sa bande. Aux quelque 100 millions de dollars nécessaires pour s’adjuger l’exclusivité de l’album, Apple a dû par la suite dépenser des sommes folles pour faire face aux poursuites judiciaires lancées par des clients et associations de consommateurs. Une chose est certaine : l’intention était louable, mais la mise en place assez calamiteuse.